Le Ministre des Télécommunications s’est offert une habile page de publicité cette semaine en ravivant la flamme du 4e opérateur mobile 4G/5G à l’horizon 2021. Quelques stupeurs et tremblements boursiers plus tard, le soufflé retombe, mais le débat n’est pas clos et il faut l’encourager.

Mauvaise idée, catastrophe en vue, ralentissement des investissements, plans sociaux : les claquements de dents ne manquent pas et les acteurs du marché belge semblent unanimes. Du CEO d’Agoria en passant par les Tours Proximus, les menaces pleuvent depuis 24 heures.  Déjà le plan Renault est enclenché dans l’inconscient collectif.

Un 4e opérateur mobile, et puis quoi encore ? Le Ministre Alexander De Croo (OpenVLD) n’est pourtant pas isolé dans sa volonté de proposer une 4e licence pour les fréquences 4G et 5G en Belgique : «Ce n’est pas un ballon d’essai, mais un dossier sur lequel nous travaillons depuis deux ans.» Il peut compter sur l’avis éclairé du régulateur des télécoms, l’IBPT, qui y entrevoit très clairement un intérêt pour stimuler la concurrence et faire baisser des prix encore élevés. Des prix qui augmentent chaque année, comme l’ont démontré ces dernières semaines les augmentations de tarifs (parfois symboliques) annoncées par VOO, Telenet et… même Orange.

Ce jeudi, Proximus s’est fendu d’un communiqué où le leader du marché prévoit un «impact sur l’emploi en interne et chez les partenaires externes.» Même son de cloche chez Orange Belgium, où le marché est jugé «assez concurrentiel» : il n’y a pas si longtemps, Michael Trabbia se montrait pourtant moins satisfait des conditions d’accès au câble qu’il a signées.

De faux-amis incestueux ?

 

Du côté des opérateurs, on l’a compris, la fronde est unanime.  Entre réseaux mobiles et fixes, le carême de partage semble tellement parfait. Telenet ne souhaite pas vraiment froisser son petit cousin wallon VOO et s’empêche de commercialiser des offres en Wallonie, malgré l’ouverture du câble. Orange emprunte le câble de VOO et Telenet, mais déplore l’absence d’accès à la fibre de Proximus. Tout en commercialisant des abonnements SOHO sur des lignes Proximus via son sous-traitant EDPNet (lequel dispose désormais d’un accès très encadré à la fibre). VOO a confié ses cartes SIM à Telenet Mobile, après avoir flirté avec Orange durant plusieurs années. Divorce par consentement mutuel, sans heurts.  Enfin, Proximus a trouvé la parade pour justifier ses prix élevés et avancer en solo sur son infrastructure de fibre optique (soutenue par le gouvernement fédéral et Charles Michel en personne) : Proximus a mangé Scarlet pour accoucher d’une filiale low cost. Cette dernière recycle les anciens modems auprès d’un public convaincu de faire jouer la concurrence : pourquoi payer plus cher ? Ben oui, c’est une bonne question ! Des MVNO ? Oui, c’est vrai. Lesquels, d’ailleurs ?

Et puis, regardez comme tout ce petit monde s’entend à merveille.  La Belgique, terre d’apaisement, de compromis et d’ententes cordiales !

Toutefois, au-delà du 63e degré dans lequel baignent ces quelques paragraphes, il faut rendre aux opérateurs en place ce qui les sert au plus haut point, une volonté continue d’innover et d’investir. La qualité des réseaux fixes et mobiles est reconnue dans notre pays. Et souvent citée en exemple. Regardez les résultats à mi-parcours du grand plan wallon autour de la taxe pylône.

«Oui, c’est cher.
Mais je paie pour de la qualité.»

(Belge moyen)

Le mobile du crime, la consolidation ?

 

Que viendrait faire un 4e acteur mobile dans ce vaudeville ? Empêcher la consolidation en cours. Mais aussi redessiner un marché désormais plutôt équilibré, où tout le monde semble avoir trouvé une forme de zone de confort.

De qui a-t-on peur, exactement ? De l’arrivée en Belgique de Xavier Niel, bien entendu.  Dernier exploit en date ? Après l’Italie, il est venu en Suisse, avec SALT, faire fondre les prix et exploser les débits.  En Suisse, la fibre atteint désormais la vitesse – ridicule certes, mais symbolique – de 10 Gbps.

La même fibre, commercialisée par Proximus, est proposée pour l’heure à 110 ou 250 Mbps (pour les 500 Mbps, il faut payer davantage).  100 Mbps, peut-être un moyen aisé pour aligner les performances du fixe sur celles de la 4G ou de prouver qu’une Ferrari peut aussi rouler à 30 km/h sur les routes de campagne.  Allez savoir ! Proximus n’a jamais manqué d’humour, c’est certain.

Demain, il y a Conseil des Ministres 

 

Agiter le risque d’un manque d’investissement en évoquant la qualité déplorable des réseaux mobiles 4G en France est un écran de fumée (l’argument a déjà servi pour retarder les dossiers roaming au niveau européen). D’ailleurs, rien n’empêche les opérateurs en place de mutualiser leurs infrastructures (notamment dans les zones rurales) sur un territoire bien plus restreint que celui de l’Hexagone. Aux autorités d’organiser la concurrence sainement ! Agoria défend ses entreprises, l’IBPT régule le marché.

De Croo maintient son cap : «Davantage de concurrence mènerait à une réductions des tarifs, ce qui conduirait à une utilisation accrue des données mobiles», répète-t-il. Un modèle observé sur de nombreux marchés, notamment dans le Nord de l’Europe, mais plus près de nous, en France, où Free a fait littéralement fondre le prix des abonnements mobiles pour l’ensemble des abonnés, tous opérateurs confondus, tant sur le fixe que sur le mobile.

La proposition devrait figurer à l’agenda du Conseil des Ministres ce vendredi. Toutefois, restons lucides. Alexander De Croo est isolé et le frémissement, ce mercredi 13 juin, des actions de Telenet, Orange Belgium et Proximus a suffi pour refroidir les ardeurs de certains ténors politiques, dont le CD&V Kris Peeters. Cherchez bien : les politiques francophones ont même oublié de s’exprimer sur le sujet.  Ajoutez à cela le lobby intensif d’Agoria et vous obtenez les ingrédients idéaux pour que rien ne change, à court terme. La question télécom la plus chaude du moment reste la suivante : qui va s’emparer de Nethys/VOO ? Et à quel prix ? Et comment cela va-t-il redessiner les cartes d’un marché consolidé ? Et si Nethys veut continuer de faire cavalier seul, qui va payer pour la modernisation indispensable de son réseau fixe ? Et quid de la licence mobile achetée à grands frais par VOO et Telenet, laquelle n’a pas été exploitée ?  Avance-t-on vers le même scénario en 2021 avec des licences mises en vente et jamais exploitées ?

Ayez confiance !

 

Le spectre d’un 4e réseau mobile en 2021, année où expirent les licences actuelles, ne sera peut-être pas réglé en quelques tweets, éditos et communiqués, mais le débat a le mérite d’être posé. Les tensions des industriels sont palpables et compréhensibles, mais les arguments ne sont pas tous recevables.

Une concurrence ne s’improvise pas, elle s’organise, se peaufine, se corrige, se réinvente.  La 4e licence ne verra peut-être pas le jour, mais peut aussi être l’occasion rêvée pour définir de nouvelles règles et régulièrement mettre tout le monde autour de la table des négociations, sous l’égide de l’IBPT.  Les prix élevés et les indexations ne sont certainement pas une fatalité, n’en déplaise à John Porter (et ses actionnaires).

La conclusion la plus emblématique est peut-être signée Mobile Vikings.  L’opérateur virtuel, qui a lui-même choisi de déserter le réseau de Telenet pour épouser au printemps prochain celui d’Orange Belgium en seconde noce, se montre rassurant et annonce qu’il «n’y aura pas d’augmentation de prix.»  Cela tombe bien, ses offres ne sont plus très fracassantes.

La confiance et la stabilité, il n’y a rien de tel au Royaume de la brique !