Comment Nokia a pu rater le phénomène iPhone ?
Il existe deux manières de regarder les statistiques. D’une part, Apple n’existe pas en tant que constructeur de téléphones mobiles. Sa part de marché est ridicule. Son unique téléphone semble rencontrer des difficultés commerciales, en Europe. La deuxième version de ce téléphone tarde un peu. D’autre part, Google et Flickr indiquent régulièrement à quel point l’iPhone est très nettement l’appareil le plus utilisé pour utiliser le web mobile. Comment Nokia et les autres n’arrivent pas à produire le même effet ? Comment Apple a réussi à produire cet exploit sans aucune expérience ? Poser la question, c’est en partie y répondre.
La faute aux opérateurs
L’explication aurait pu être très longue mais elle est d’une simplicité incroyable: Apple n’a subi aucune pression de la part des opérateurs. Ses chercheurs ont eu tout le loisir de produire l’appareil qu’ils voulaient eux-mêmes en main. Ils ont utilisé des technologies connues, testées et corrigées. Ils en ont esquivé d’autres qui posent problème. Vous seriez tenté de me dire que Nokia jouit également de libertés identiques et que le Nokia N95 n’a rien à envier à l’iPhone. Certes.
Nokia emploie une armada de chercheurs. Des études sont déployées en permanence. Des enquêtes de satisfaction sont menées dans le monde. Ensuite, un catalogue est dessiné avec un ou plusieurs appareils qui répondent aux besoins spécifiques de chaque consommateur. Les événements presse sont toujours une occasion de redécouvrir la fameuse et impressionnante stratégie finlandaise. On oublie pourtant souvent de nous relater comment les lobbies des opérateurs ont colorié ce catalogue.
Ce n’est pas le cas en Belgique mais dans la plupart des pays industrialisés, les opérateurs vendent des téléphones subsidiés pour attirer les clients. C’est ce qui permet parfois de pouvoir acheter un appareil à un euro à la prise d’un contrat. Pour qu’un constructeur puisse placer un maximum de ses téléphones dans le groupe des candidats à la subsidiation, il devra répondre à un certain nombre de critères et, au pire, modifier les logiciels et interfaces embarqués pour que le client accède à du contenu payant et au portail de l’opérateur.
Si le consommateur est parfois content de cette situation, elle cadenasse pourtant certaines innovations. C’est ce qui rend si impopulaire les puces Wi-Fi dans les téléphones annoncés en 2008. Un opérateur qui propulserait des appareils Wi-Fi dans son catalogue prend un risque peu calculable. Puisque vous utilisez votre téléphone principalement chez vous et au boulot, qu’est-ce qui vous empêcherait d’exploiter les réseaux GSM et 3G comme réseaux d’appoint plutôt que comme réseau principal ? Il suffirait, dés lors, d’installer Skype ou autre et d’échanger des données via des hotspots libres et gratuits.
Qui plus est, on annonce souvent la disponibilité de réseau de type Wi-Fi à une échelle nationale. Le WiMax en est l’exemple le plus concret en ce moment. Oui, ça consomme de l’énergie. Les premiers appareils 3G étaient livrés avec deux batteries. L’énergie ne posera pas problème longtemps.
Pour contrer cela, l’industrie a mis au point l’UMA que l’on tente d’installer chez vous. Si le Wi-Fi est un danger, vendons des hotspots configurés par les opérateurs (Livebox et compagnie). L’UMA tente de mixer GSM et Wi-Fi. Elle vous oblige surtout à ne pas trop gambader ailleurs que chez votre opérateur.
La Sainte-Vierge Apple
Bien entendu, ce tableau très sombre dressé sur l’industrie des télécoms mobiles n’a pas été vraiment éclairci par Apple. Si Nokia et les autres se sont pris les pieds dans un système commercial à double tranchant, Apple n’a fait que profiter de la situation en présentant son iPhone aux allures de bulldozer. Il fallait donc le vendre cher, avec des forfaits exclusifs chers et prendre une part (énorme) du gâteau.
C’est là que Nokia a été, disons-le, vraiment stupide et peu courageux. Produire l’iPhone n’est pas un exploit. Brandir un tel appareil comme arme de guerre aurait pu mettre un terme à la toute puissance des opérateurs. Et relancer l’innovation. Mais force est de constater qu’il était plus important pour Nokia de scruter ses parts de marché et d’abaisser son pantalon pour arriver aux 40%. Maintenant que les fesses sont à l’air, il va falloir se reprendre.
En gros, vous nous expliquez qu’avec l’iPhone on est indépendant des opérateurs, alors qu’avec un Nokia on ne l’est pas. Fallait oser…
Comment Nokia a pu rater le phénomène iPhone ?
Je répondrais « aux innocents les mains pleines ».
Entre Apple et Nokia je vois la querelle des modernes et des anciens,
il me semble souhaitable pour le consommateur que la sagesse permette une intégration des originalités de chacun dans un produit commun renfermant la jeunesse de l’un et son audace avec le classicisme de l’autre.
Je possède un Nokia N95 et ma fille un Ipode, je serais preneur d’un produit synthétisant les deux philosophies.
Concernant « Un opérateur qui propulserait des appareils Wi-Fi dans son catalogue prend un risque peu calculable. » Je me demande si ce ne serais pas justement la solution audacieuse qui pourrait lui assurer une plus grande notoriété.
De toute façon cette solution du « Tout en Un » est inéluctable elle ne peut que se faire, me semble-t-il.
En conclusion Le possesseur du Nokia N95 que je suis, vois déjà un outil du futur de ce genre et tactile, ce serait la cerise sur le gâteau…. en attendant mieux …. puisque l’évolution est infini….
Claude-Eric, je ne pense pas que l’article pousse à une telle conclusion.
Jean-José, le soucis est que Nokia est très largement capable de produire un téléphone comparable à l’iPhone. C’est pourquoi il est sain de se demander pourquoi ils ne l’ont pas fait.
Moi je l’ai compris quand même dans ce sens là, et je ne suis pas totalement d’accord. Derrière l’iPhone, ya aussi tout un buzz, créé par les fanatiques, et c’est là que ça se joue. Si Nokia aurait lancé juste un seul appareil, il aurait eu la même chose, mais peut-être moins, car pas de Pro-Apple.
Car bon, l’iPhone, c’est tout sauf indépendant : Tu dois aller payer ta sonnerie sur le store, si t’as un Touch, tu dois payer les MàJ, tu es obligé d’utiliser iTunes … Ca fait mal pour l’indépendance, ça. Avec mon N95 8 Go, je le branche comme je veux où je veux, je mets ce que je veux dessus, et j’installe ce que je veux, légalement. Pas vraiment comparable donc.
Je crois que les choses sont relativement claires, je n’indique pas que l’iPhone est un téléphone « libre ». J’essaie simplement de montrer qu’Apple a produit un appareil que Nokia n’aurait pas pu produire pour des raisons stratégiques et commerciales. Et le rôle des opérateurs est primordial. N’oublie pas que quand Nokia fête ses 40% de parts de marché, elle doit une fière chandelle aux opérateurs qui subsidient ses appareils. D’un côté, l’iPhone est vendu d’une manière détestable, de l’autre, les Nokia et Sony Ericsson produisent des téléphones pour qu’ils soient achetés par les opérateurs.
Il est clair qu’avec sa gamme très étendue, Nokia vise simultanément tous les créneaux, notamment les opérateurs, les grands comptes et les acheteurs individuels non liés à un opérateur. Alors qu’Apple, avec un seul produit, ne vise (pour l’instant) qu’un seul créneau d’ailleurs inventé pour la circonstance, avec un mode de commercialisation très particulier qui lui ferme automatiquement une très grande partie du marché.
Il faut tout de même signaler que plusieurs terminaux de Nokia embarquent justement ce qui manque à l’iPhone pour pouvoir ratisser large, à savoir EDGE, 3G, wifi et GPS (sans même parler de l’ouverture du système d’exploitation).
Ce que Nokia n’a pas (encore) fait, c’est un clone de l’iPhone, notamment sur le plan ergonomique. D’une part parce que ce n’est pas facile, tant la réussite d’Apple est brillante de ce point de vue, d’autre part sans doute parce que, stratégiquement, il lui apparaît préférable d’innover plutôt que de copier, même si c’est plus long.
En conclusion, je crois que la concurrence la plus redoutable à laquelle Nokia devra faire face n’est pas Apple, mais les outsiders qui fourbissent en ce moment même des terminaux encore plus ouverts et versatiles que les siens. L’intérêt porté chez Nokia à Linux en est un signe. Apple a, quant à lui, une tradition de niche héritée des McIntosh. Ce n’est pas la même culture.
Ce qui est assez cocasse dans la démonstration c’est la rapidité avec laquelle vous êtes passé sur « l’échec » de l’iPhone en Europe.
Parce que certes, on s’extasie sur la qualité du téléphone et son succès présumé, mais finalement quand on en vient à l’heure des comptes, les résultats ne sont pas ceux auquels on pouvait s’attendre.
Je vois deux raisons à cela:
– la première, qui met en branle toute votre démonstration, est justement que le téléphone n’est pas subventionné. Donc il faudra payer le prix fort pour avoir un iPhone, chose à laquelle les gens ne sont peut être pas près et en tout cas pas habitué.
– la deuxième, et justement que l’iPhone n’est pas aussi indépendant des opérateurs, et il vous faudra obligatoirement passer par un et un seul opérateur, avec des forfaits pas toujours avantageux pour profiter de l’appareil, ce qui pourrait en freiner certains et qui explique la quantité de téléphone « piraté » en circulation.
Par contre, je partage votre avis sur l’erreur stratégique de Nokia qui n’a pas su voir plus tôt l’intérêt des appareils à écran tactile.
Mais leur expérience du secteur et la qualité de leur équipes de développement leur permettra à mon avis de rapidement redresser le cap et les premières images du Tube annoncent déjà de belles promesses.
Je pense que les deux raisons que vous évoquez renforce plutôt ce que je tente de démontrer. L’iPhone non subventionné est l’exemple que les opérateurs ont peur de ce type d’appareil et surtout, qu’ils n’ont pas opéré de pressions lors de la conception de l’iPhone. Je parle d’indépendance du téléphone d’Apple à la conception, pas à la vente. Je comprends, par contre, au travers de vos commentaires que l’article exprime mal l’analyse 😉
dans ce secteur… En effet, quel jugement peut on porter sur Nokia dont la construction de GSM est le core business. Quelles sont les innovations marquantes que Nokia a apporté à sa gamme durant ces dix dernières années ? Pas grand chose selon moi.
L’iPhone n’est sans doute pas le téléphone parfait mais pour une première tentative, c’est un coup de maître et Apple à quelques longueurs d’avance sur ses concurrents. Qu’il soit cher, ne fasse pas la 3G ou que sais-je, peu importe ! L’iPhone ouvre la voie à l’internet mobile, le vrai, pas celui d’un navigateur bridé dont le rendu des pages est illisible. Nokia avait les cartes en main pour proposer un vrai device mobile à ses clients (les opérateurs) depuis des années mais s’est complètement fait distancer par un acteur inconnu dans le secteur. C’est souvent le cas, l’innovation vient rarement de l’acteur dominant…
Bref, tout ceci pour dire que tous les fabricants classiques se sont faits ridiculisés par la firme à la pomme.
@ Greg & Benhuc :
Il me semble que le N810 (octobre 2007) peut constituer une première réponse plausible de la part de Nokia. Voyez les spécifications.
Vous voyez les choses de façon beaucoup trop colorée et subjective. L’iPhone n’a fait de mal à personne, au contraire, Nokia n’a pas à s’inquiéter. Nokia suit probablement le marché d’un peu trop près en évoluant aussi « lentement » que celui-ci, Apple a voulu créer un besoin avec un téléphone différent plutôt que d’essayer de répondre au marché de masse comme Nokia peut le faire. On ne peut pas dire que l’iPhone soit un succès ou que Nokia a essayé un échec, il n’y a donc pas d’exploit Apple ni d’échec Nokia, la situation n’est pas aussi extrème, n’importe quel (grand) constructeur a la capacité de faire un iPhone…encore faut-il en avoir l’idée ou l’envie de se lancer dans ce genre de domaine.
Apple a le mérite d’avoir donné des idées au marché en associant correctement des choses existantes mais ça répond au besoin d’un marché de niche. On annonce toujours de beaux chiffres sur l’utilisation du data avec l’iPhone mais au final, qu’est-ce que ça veut dire? Les clients qui utilisent du data avec un iPhone utilisaient déjà pour la plupart du data avant que l’iPhone n’arrive vu que ça s’adresse à un type particulier de clients. Les autres utilisent l’iPhone comme un outil de frime pour suivre un effet de mode ou une tendance branchouille initiée par Apple.
Ce que la plupart des articles sur l’iPhone sous-entendent c’est une sorte d’incapacité des grands constructeurs à fabriquer un iPhone mais ce que vous oubliez c’est qu’ils n’en ont peut être pas envie, ils sont dans une meilleure position que nous pour savoir si c’est un business rentable ou pas. Je pense qu’il est tout simplement trop tôt pour qu’un tel appareil soit un succès de masse. Les seules réponses qui existent à ce jour sont plutôt timides et sont plus liés à une guerre d’image qu’à une acquisition réelle de clients.
Laurent, je partage partiellement ton analyse. Il n’y a ni gagnant, ni perdant (sauf le client qui se voit offrir plus de choix).
Par contre, la ou je ne te rejoins pas, c’est sur l’utilisation des connexions data. Depuis que j’ai un iPhone, j’utilise les data bien plus qu’auparavant pour une raison très simple : surfer sur Internet et lire son mail devient réellement possible sur l’iPhone parce qu’il offre un confort d’utilisation inégalé. Clairement mon ARPU comme on dit pudiquement a augmenté depuis que j’utilise l’iPhone. j’ai donc du mal à croire que les opérateurs n’aient pas fait des appels du pieds aux fabricants pour qu’ils sortent des devices offrant une meilleure expérience utilisateur au niveau data.
J’en déduis, mais le raccourcis est très facile, que les fabricants ne sont pas encore en mesure de sortir des terminaux aussi performants que l’iPhone. Quand je vois que Nokia annonce qu’il lui faudra 12 mois pour sortir un iPhone killer, cela ne fait que confirmer l’incapacité de telles sociétés à innover.
Greg, je ne dis pas que l’iPhone ne contribue pas à l’arpu data, c’est surement le cas mais ce que je veux dire par là c’est qu’il ne contribue pas à la popularisation du data mobile car l’appareil en soi s’adresse à un marché de niche. Si il tombe dans les mains d’un client influencé par l’effet de mode, l’appareil ne le transformera probablement pas en client data. Il est fort probable que si tu avais un téléphone comme le Xperia ou le HTC Diamond, ta consommation aurait certainement pris une direction à la hausse également. Tu fais partie de ces clients qui utilisaient déjà le data mobile alors que le hardware ne s’y prêtait pas spécialement.
Prend l’exemple du Xpéria, le nouveau SonyEricsson. Est-ce que ça ressemble à une copie de l’iPhone? Est-ce que ça ressemble à une réponse rapide à l’iPhone? Surement pas, les constructeurs ont des philosophies différentes et ça aboutira à des solutions différentes. C’est sûr que le N95 est nettement plus laid qu’un iPhone mais il embarque des trucs que l’iPhone n’a pas. Le temps de gestation d’un tel téléphone est assez long donc quand on prend une direction (bonne ou pas), cela peut parfois prendre plus de temps d’aller copier un concurrent que d’améliorer un produit différent.
Je ne suis vraiment pas d’accord pour dire que Nokia aurait pu, « autant qu’Apple, produire un téléphone comparable à l’iPhone ».
L’iPhone s’appuie sur un véritable système d’exploitation avec certaines couches qui évoluent depuis plus de 20 ans (NextStep).
L’architecture d’OSX leur permet d’avoir une avance certaine sur la plupart des éditeurs d’OS pour mobile. Quelques exemples :
l’indexation de fichier est déjà implémentée dans l’OS d’Apple
support d’OpenGL
une pile réseau héritée de BSD, qui n’a pas de concurrence
des API comme CoreAnimation, CoreData, CoreImage, CoreAudio
Ces API, c’est important de le rappeler, sont les moteurs d’applications telles que Logic Audio, Aperture, Final Cut…
Avec l’iPhone, les développeurs vont donc avoir accès à des API dignes des applications audio/video professionnelles. Je suis certain que les applications qui vont apparaître à partir de cet été vont permettre de comprendre l’avance d’Apple avec son OS.
Je ne vois pas comment Nokia aurait pu proposer un tel OS……